11

Dif Scaur, chef des Services de Renseignement de la Nouvelle République, était seul dans son bureau lorsque retentit le signal de son canal de communication privé. Cette console de transmission ne servait qu’à une seule et unique fonction, et Scaur tenta de contrôler les battements de son cœur tout en tendant une main pâle vers le bouton de mise en route.

Le moniteur s’alluma et il découvrit son interlocuteur au regard de braise.

— Oui ? dit Scaur, les nerfs tendus.

— L’expérience est un succès.

— Parfait, répondit Scaur après avoir inspiré profondément.

— Je crois maintenant être en mesure de garantir la réussite du projet.

— Alors, je vais faire le nécessaire, dit Scaur en hochant doucement la tête.

— Nous avons besoin d’un local plus grand. Il faut également que certains individus se taisent.

— J’ai déjà pris des dispositions à ce sujet. (Scaur hésita un instant.) Nous devrions parler de cela de visu.

— Très bien. (L’interlocuteur parut satisfait.) J’attends votre visite.

La transmission fut interrompue. Scaur tendit la main pour éteindre la console de communication et, la ramenant ensuite à lui, se rendit compte qu’il tremblait. Maintenant tout va changer, songea-t-il. A présent, c’est moi qui suis le Massacreur.

 

Les chantiers navals de Mon Calamari étincelaient dans la lumière solaire. Les structures des ateliers étaient aussi élégantes et robustes que les vaisseaux qui y étaient construits. Luke vit que trois croiseurs étaient presque terminés. Bien que d’aspect complètement différent les uns des autres, ils appartenaient tous trois à la classe MC80. Une demi-douzaine d’autres engins plus petits reposaient dans d’autres cales sèches, à divers degrés de finition. On aurait pu croire, surtout en cette période de guerre, que les Mon Cal avaient accéléré leur rythme de travail, mais leur désir de personnaliser et de perfectionner chaque appareil semblait toujours intact. Chaque navire était construit, embelli et affiné jusqu’à devenir une véritable œuvre d’art au même titre qu’un des éléments les plus redoutables de l’arsenal républicain.

Luke et Mara se tenaient sur une agréable mezzanine qui dominait l’annexe du quartier général du commandement de la Flotte. A travers le dôme transparent qui s’élevait au-dessus d’eux, ils observèrent les chantiers dont les éclats argentés étaient rehaussés par le bleu vif de la planète et le noir profond, parsemé d’étoiles, du vide cosmique. La scène – ce vide immense et le joyau bleuté, symbole de vie, qui y paraissait comme incrusté – enveloppait Luke comme une cape protectrice. C’était une vision de paix et de perfection.

— Nous sommes à un moment charnière, dit-il.

Mara lui adressa un regard perplexe.

— Tu as une idée de ce qui a bien pu te pousser à dire ça hier ? demanda-t-elle.

Après cet étrange épisode au cours duquel il avait perçu la présence de quelqu’un lui rappelant Jacen, il s’était absorbé dans la méditation. Il avait invoqué la Force, jusqu’aux limites de la transe, pour tenter de retrouver le contact. Mais il avait été incapable de trouver les réponses à ses questions. Etant cependant parvenu à contacter Jacen une seconde fois, il commençait à suspecter l’origine de la voix qui lui avait parlé.

— Peut-être que ça venait directement de la Force, répondit-il.

Les étoiles distantes se reflétèrent dans les yeux couleur de jade de Mara.

— La Force nous permet de voir ce qui est sur le point de se produire, dit-elle après réflexion. Mais, en général, c’est un peu moins… spontané !

— Je suis de plus en plus certain qu’un destin très spécial attend Jacen, dit Luke, se tournant vers Mara et lui prenant la main.

— Tu crois que Jacen est conscient de ce destin si spécial ? demanda Mara en écarquillant les yeux.

— Je n’en sais rien. Et je ne sais pas, non plus, si Jacen est prêt à l’accepter. En tant que Jedi, il a toujours remis en question ses objectifs, sa raison d’être et le sens même de la Force. J’ai du mal à l’imaginer ne se posant pas de questions face aux coups du sort qui l’attendent. (Les pensées de Luke s’obscurcirent et il regarda Mara tristement.) Un destin spécial n’est pas toujours quelque chose de joyeux ou de facile à accepter. Mon père a embrassé un destin spécial. Et regarde où ça l’a mené.

— Nous devons aider Jacen, dit Mara le regard grave.

— En espérant qu’il nous laissera faire. Il n’est pas toujours très coopératif, je te le rappelle.

Luke releva la tête pour observer les cieux par-delà l’immense dôme. Dans la noirceur constellée d’étoiles de l’espace, le vaisseau de corail de Jacen, pris dans le rayon tracteur d’un croiseur MC80A, était remorqué jusqu’à une baie d’accostage. Le petit vaisseau était trop éloigné pour que Luke puisse le distinguer, mais, derrière le croiseur Mon Cal, il aperçut un éclair lumineux glisser avec élégance en direction de l’annexe.

— Hé ! appela une voix dans l’artère en contrebas. Mais c’est le Sénateur Filendouce ! Et puis le Sénateur Barren-trombe ! (Il y eut un éclat de rire tonitruant.) Ouais ! Vous ! C’est à vous que je parle !

Sans mot dire, Luke et Mara se penchèrent par-dessus la balustrade de la mezzanine et regardèrent en bas. La plus grande Phindienne que Luke ait jamais vue, ses longs bras dépassant des manches de son uniforme des Forces de Défense, était en train de se précipiter vers un humain et un Sullustain débarquant d’un vaisseau consulaire qui venait d’accoster. Luke se rendit compte que les deux nouveaux venus étaient membres du Sénat.

La Phindienne se dressa en travers du chemin des deux sénateurs puis tituba. Luke comprit qu’elle était ivre. Elle venait certainement de sortir du club des officiers qui se trouvait juste sous la mezzanine. La Phindienne releva son tout petit menton.

— Vous savez combien j’ai perdu d’amis à Coruscant, hein ? demanda-t-elle. Vous le savez ?

Les deux sénateurs pincèrent les lèvres et gardèrent le silence. Ils essayèrent de contourner la Phindienne, mais celle-ci leur barra la route de ses bras démesurés.

— Dix mille ? tonna la Phindienne en dépliant un très long doigt de son poing délicat. Vingt mille ? Trente mille camarades disparus ? Qu… Quarante mille ?

La Phindienne essaya de tendre un quatrième doigt et se rendit compte, un peu tard, que sa main n’en comportait que trois.

— Nous avons tous perdu des amis à Coruscant, répondit le sénateur humain d’un ton sinistre.

Il tenta de repousser l’un des bras immenses de la Phindienne pour reprendre sa route, mais celle-ci le bloqua à nouveau, essayant de fixer sur son visage de grands yeux jaunes.

— Dommage que vous n’ayez pas pensé à vos amis lorsque vous avez pris la tangente, Sénateur Filendouce ! dit-elle. Dommage que, lorsque vous avez réquisitionné l’Alamania, vous ayez abandonné vos amis à leur macabre sort !

Luke sentit Mara lui pincer le bras.

— Tu crois qu’on devrait intervenir ? demanda-t-elle à voix basse.

— Non, sauf si ça dégénère, répondit son époux. Et je ne pense pas que ça va dégénérer. (Il regarda sous la mezzanine. Un groupe d’officiers, devant le club, observait calmement la confrontation.) Regarde en bas…

Mara baissa les yeux vers le groupe d’officiers.

— Ils n’interviennent pas non plus.

— Non, dit Luke, très sûr de lui. Effectivement.

— Capitaine, veuillez vous écarter, dit le sénateur sullustain à la Phindienne. Nous avons d’importantes affaires à régler sur Mon Calamari.

— D’importantes affaires ! dit la Phindienne. Et ce sont d’importantes affaires qui vous ont poussé à ordonner à l’Escadron Vert d’escorter votre navette jusque dans l’hyperespace ? Ce même Escadron Vert qui devait protéger mon vaisseau, le Sens de l’Honneur ? Mon pauvre vaisseau, victime d’un pilonnage des Yuuzhan Vong, qui a perdu deux cent quarante et un membres d’équipage ? Mon pauvre Sens de l’Honneur qui a eu toutes les peines du monde à rejoindre Mon Calamari et qu’il va falloir complètement démanteler parce que cela coûterait trop cher de le réparer ? Quelles affaires si importantes valent plus que la vie de deux cent quarante et une personnes, Sénateur Barrentrombe ? (Un long doigt vint heurter la poitrine du Sullustain.) Hein ? Sénateur Lescampette ? Sénateur Suelatrouille ? Sénateur Moudestripes ? Hein ?

— Prenez garde, Capitaine, dit le sénateur humain. Vous êtes en train de mettre votre grade en péril.

— Vous m’avez déjà pris mon vaisseau ! dit la Phindienne. Vous avez déjà tué la moitié de mon équipage ! A cause de vous, on a perdu la capitale ! (Elle éclata d’un rire sonore.) Alors, vous croyez vraiment que je me soucie de mon grade ? Vous croyez pouvoir encore faire pire que ce que vous avez déjà fait ? Vous croyez que je me soucie du serment d’obédience qui m’oblige à vous protéger, vous et votre bande de lèche-bottes chétifs ? Vous croyez que l’un d’entre nous s’en soucie vraiment ?

La Phindienne agita un long bras en direction des officiers qui se tenaient sur le seuil du club. Les deux sénateurs tournèrent la tête et aperçurent le groupe qui, très solennellement, assistait à la confrontation en silence. Les deux sénateurs dévisagèrent les officiers, qui firent de même. Et, pour la première fois, les deux politiciens parurent mal à l’aise.

La Phindienne se tenait toujours debout, son long bras tendu en direction du club. L’humain se baissa et passa prestement dessous pour se diriger à petites foulées vers la sortie. Lorsque la Phindienne pivota sur elle-même pour observer l’humain, le Sullustain en profita pour la contourner et s’élancer à la suite de son collègue. Mais, même si ses jambes n’étaient pas aussi longues que ses bras, la Phindienne n’attendit pas pour les poursuivre. Elle les rattrapa et enroula ses bras autour de leurs épaules, comme s’il s’agissait de vieux amis.

— Je vais vous dire un truc, annonça la Phindienne. Vous ne pouvez rien me faire à moi, mais vous pouvez certainement faire quelque chose pour moi. Une motion sur le budget et les affectations de la Flotte sera soumise au vote lors de la prochaine session de votre comité, Sénateur Jedécampe. Et vous allez voter pour. Parce que, si vous ne l’approuvez pas, nous ne serons pas capables de continuer à protéger des Yuuzhan Vong les couards, les voleurs et les politiciens, pas vrai ? Et puis, débloquez-nous un peu de budget…

Les deux sénateurs s’arrêtèrent net dans leur course. La Phindienne venait de coincer leurs têtes dans les pliures de ses grands bras et les étranglait. Ses yeux jaunes étincelèrent.

— Parce que, si vous ne nous donnez pas d’argent, reprit-elle d’un ton hautain mais embrumé par les vapeurs d’alcool, eh bien nous irons nous-mêmes le chercher ! Après tout, on a des flingues, pas vrai ? Et nous savons déjà comment vous réagissez face aux flingues, hein ?

Elle libéra ses deux captifs. Les sénateurs se précipitèrent vers la porte de sortie. La Phindienne releva de nouveau son petit menton et leur adressa une dernière fois la parole.

— Encore une chose, sénateurs ! Ne vous avisez pas d’essayer de fuir à nouveau devant l’ennemi à bord d’un des vaisseaux de la Flotte ! Parce que, si vous tentez de réquisitionner un autre de nos appareils, nous serons ravis de vous entasser à bord d’une capsule de sauvetage que nous éjecterons directement vers les Yuuzhan Vong ! Vous avez ma promesse ! Nous en faisons tous, d’ailleurs, le serment solennel !

Les sénateurs disparurent. La Phindienne regarda dans leur direction pendant un moment, ses longs bras pendant bien en dessous de ses genoux. Puis elle fit demi-tour et rejoignit ses amis.

Un tonnerre d’applaudissements et une grande clameur montèrent du groupe d’officiers. Ils entourèrent la Phindienne et la portèrent en triomphe à l’intérieur du club, bien décidés à aller fêter cela.

Luke et Mara demeurèrent sur la mezzanine, dans un silence aussi pesant que soudain, et réfléchirent à ce qu’ils venaient de voir.

— De joyeux fêtards ? suggéra Mara.

— Tu sais très bien qu’il ne s’agit pas de ça.

— Une mutinerie ?

— Non. Pas encore. (Luke observa les portes derrière lesquelles les deux sénateurs avaient pris la fuite.) Mais pas loin. Les militaires enchaînent échec sur échec depuis le début de cette guerre et ils savent que ce n’est pas de leur faute. Ils savent que ceux qui dirigent sont corrompus, stupides et trouillards. Ils savent que Coruscant est tombée à cause de politiciens comme les deux qui viennent d’arriver. (Il marqua une pause, entendant une acclamation étouffée montant du club juste en dessous.) Sincèrement, je me sentirais mieux si ces hourras n’étaient pas le fait de gradés de la Flotte.

— Moi aussi, dit Mara. (Elle jeta un coup d’œil nerveux par-dessus son épaule.) Il faudrait donner à cette Flotte un gouvernement digne de respect. Et vite. Si les soldats se détachent du gouvernement civil et commencent à s’emparer des ressources à grands coups de blaster, ils ne valent guère mieux que des pirates.

— Des pirates extrêmement bien armés, ajouta Luke.

C’est un moment charnière, se rappela-t-il. Il espéra que les choses ne prendraient pas un mauvais tournant. Il regarda de nouveau vers l’espace, au-delà du grand dôme. Cette fois, il vit le vaisseau corail de Jacen à l’œil nu, suspendu par les rayons tracteurs sous la grande coque aux allures de crustacé du croiseur MC80A. Les origines de la capsule étaient claires. Sa coque de corail et sa forme bulbeuse et organique n’avaient pas d’équivalent dans l’espace. Les gracieuses structures Mon Cal, avec leurs courbes élégantes, imitaient la nature. Mais l’engin Yuuzhan Vong, lui, était naturel même en étant extragalactique.

Des portes coulissèrent derrière Luke et une colonne de soldats investit la mezzanine. Ils avaient tous le blaster au poing, leur corps était engoncé dans une armure et un masque protégeait leur visage de tout poison extraterrestre. Un droïde de combat fermait la marche, brandissant une bonne demi-douzaine d’armes au bout de ses bras.

Apparemment, l’armée ne souhaitait courir aucun risque avec cette capsule Yuuzhan Vong qu’on s’apprêtait à ramener sur le sol républicain. Non seulement on avait envoyé un vaisseau de guerre pour l’intercepter, mais, en plus, on projetait de faire accoster le vaisseau ennemi non pas au quartier général du commandement de la Flotte, mais à son annexe. Celle-ci pouvait, au besoin, être totalement scellée, séparée du quartier général et éjectée dans l’espace par un jeu de boulons explosifs.

Le jeune officier qui commandait le détachement de soldats s’approcha de Luke et de Mara et les salua.

— Maître Skywalker, Madame, commença-t-il, je suis chargé de vous transmettre les hommages de l’Amiral Sovv. Une fois que Jacen Solo et sa compagne de voyage auront été ramenés à bord, l’amiral serait très honoré de vous recevoir afin de vous offrir des rafraîchissements.

Pauvre Sien Sovv, se dit Luke. En tant que Suprême Commandeur des Forces de Défense, on le tenait pour responsable des multiples catastrophes qui étaient advenues à l’armée. Aux dernières nouvelles, Sovv errait dans Mon Calamari à la recherche de quelqu’un à qui remettre sa lettre de démission. Mais, en l’absence de Chef d’Etat, personne n’avait été en mesure de l’accepter.

— Je serai ravi de voir l’amiral, répondit Luke. A condition que mon neveu n’ait pas besoin de soins médicaux.

— Bien entendu, Monsieur, je comprends.

Luke et Mara suivirent les soldats jusqu’au quai de débarquement. Les hommes en armes prirent position de part et d’autre de la porte blindée. Un droïde se posta juste dans l’axe et pointa ses canons en direction du panneau. Luke jeta un coup d’œil à Mara. Elle était en pleine concentration, les yeux mi-clos.

— Je ne sens rien d’anormal, annonça-t-elle.

— Moi non plus.

Sans un mot, Luke et Mara vinrent se poster entre le droïde et l’écoutille du quai d’accostage. Luke sentit les cheveux de sa nuque se hérisser à l’idée de savoir qu’une telle puissance de feu était directement braquée sur son dos.

— Monsieur… commença l’officier.

Luke fit un petit geste de la main.

— Tout ira bien, Lieutenant, dit-il.

— Tout ira bien, Monsieur, oui.

Il y eut une secousse lorsque les rayons tracteurs amenèrent la capsule jusqu’à l’écoutille extérieure, et un sifflement lorsque le sas fut pressurisé. Les lumières s’allumèrent à l’intérieur du compartiment étanche et la porte s’ouvrit en pivotant sur ses gonds. Jacen apparut dans l’ouverture. Il était vêtu d’une sorte de poncho sans couleur, visiblement d’origine Yuuzhan Vong, tenu à la taille par quelque chose qui ressemblait à une liane. Il avait perdu du poids et ses muscles noueux jouaient sous sa peau pâle qui ne semblait plus retenir le moindre gramme de graisse. Des blessures, guéries mais toujours présentes, striaient ses bras et ses jambes.

Mais c’était son visage qui reflétait le plus grand changement. Sous une crinière de cheveux décoiffés, sa figure était presque taillée au couteau. Ses traits poupins avaient définitivement disparu et ses yeux bruns étincelaient d’une intelligence adulte et impitoyable. Lorsque Jacen était parti pour Myrkr, il se trouvait au seuil de l’âge adulte. Il semblait évident qu’il avait abandonné un certain nombre de choses là-bas, y compris son adolescence.

Les yeux perçants se tournèrent vers Luke et Mara et s’illuminèrent immédiatement de joie et de chaleur en les reconnaissant. Luke sentit son cœur battre dans sa poitrine. Mara et lui firent en avant un pas hésitant. Jacen, lui, sortit précipitamment du sas en écartant les bras pour embrasser son oncle et sa tante. Tous trois éclatèrent joyeusement de rire en se retrouvant.

Les larmes montèrent aux yeux de Luke. Un moment charnière, songea-t-il. Oui, à partir de ce moment, nous tournons le dos à la tristesse, nous allons vers une période de joie.

— Mon garçon ! explosa Luke. Mon garçon !

Ce fut Mara qui rompit l’étreinte. Elle fit un pas en arrière et posa délicatement ses mains sur la poitrine de Jacen, comme pour caresser son cœur.

— Tu es blessé !

— Oui.

La réponse était brève, simple. Jacen semblait pourtant en paix avec tout ce qui avait pu lui arriver.

— Tu te sens bien ? continua Mara. Tu as besoin de soins ?

— Non, ça va. Vergere m’a soigné.

C’est alors que Luke et Mara se tournèrent vers la compagne de route de Jacen. La petite créature couverte de plumes fit quelques pas à l’intérieur de la station. Elle observa les deux rangées de soldats avec un mélange de scepticisme et d’amusement.

— Moi aussi, je dois remercier Vergere, il me semble, dit Mara.

Vergere tourna vers Mara ses grands yeux en amande.

— Mes larmes vous ont-elles été utiles ? demanda la créature.

— Oui. Je suis guérie – apparemment.

— Il y a de nombreuses années, Nom Anor vous a empoisonnée avec les spores d’un coomb. Vous le saviez ?

Les mots étaient précis, presque précautionneux.

— Oui, je le savais. (Mara hésita.) Mais… Des larmes… Pour soigner ? Comment avez-vous… Comment arrive-t-on à cela ?

Les petits favoris en plumes de Vergere ondulèrent et formèrent une expression ressemblant à un mince sourire.

— C’est une longue histoire. Peut-être qu’un jour je vous la raconterai.

Luke se tourna de nouveau vers Jacen et découvrit que le jeune homme lui souriait. Le Maître Jedi sourit à son tour. Une pensée lui traversa soudain l’esprit.

— Oh, j’oubliais… dit-il. Il faut que l’on prévienne tes parents que tu es en vie. Et ta sœur aussi.

Le sourire de Jacen s’estompa légèrement.

— Oui, j’ai essayé de les contacter à travers la Force. Mais, effectivement, ce serait bien de leur confirmer la nouvelle.

— Monsieur ? (C’était le lieutenant commandant le détachement militaire.) Maître Skywalker, je dois perquisitionner la capsule de sauvetage. Si vous voulez bien attendre quelques minutes sur la mezzanine, je vous escorterai jusqu’au centre de communication, d’où vous pourrez envoyer votre message, et nous irons ensuite chez l’Amiral Sovv.

— Certainement, dit Luke.

Une irrépressible envie de sourire s’empara à nouveau de lui et il passa sa main dans les cheveux de Jacen.

Luke et Mara, entourant Jacen et tenant le jeune homme par les épaules et par la taille, passèrent devant le droïde de combat et gagnèrent la mezzanine. Vergere les suivit en silence.

En contrebas, les voyageurs spatiaux allaient et venaient d’un quai à un autre, tous bien trop occupés pour se rendre compte de la réunion qui venait d’avoir lieu à quelques pas d’eux.

— Bienvenue, dit Luke, bienvenue au bercail, jeune Jedi !

— Je ne suis pas le seul à qui tu devrais dire ça, dit Jacen en tournant légèrement la tête vers Vergere.

Luke se tourna vers cette dernière.

— Bienvenue à vous aussi, bien entendu, dit-il poliment. Mais j’ignore totalement d’où vous venez et, du coup, je ne sais pas si la notion de bercail est de mise.

— Il s’agit là d’un paradoxe qui requiert une réponse complexe, dit Vergere.

Jacen éclata de rire.

— Ça, c’est le moins qu’on puisse dire. Vous n’avez pas encore deviné ? (Lorsque Luke et Mara se tournèrent vers lui, Jacen éclata de rire à nouveau.) Vergere est un Jedi. Un Jedi de l’Ancienne République. Elle a vécu au sein des Yuuzhan Vong pendant plus de cinquante ans.

Luke, stupéfait, regarda Vergere.

— Et vous êtes toujours vivante ? s’exclama Mara.

Vergere baissa la tête, se regarda, s’inspecta et posa ses mains sur sa poitrine pour démontrer son existence.

— Il semblerait bien que oui, jeunes Maîtres, dit-elle.

— Mais comment… enchaîna Mara.

Oui, comment avait-elle vécu chez les Yuuzhan Vong pendant tout ce temps sans que ses pouvoirs de Jedi ne soient détectés par un yammosk ?

— Encore une longue histoire, dit Vergere. Peut-être une autre fois…

— Vous savez garder les secrets, Vergere, remarqua Luke.

— Je n’ai pas survécu en offrant mes secrets à quiconque était intéressé, répondit-elle. Mes secrets doivent rester ma seule et unique propriété, à moins que je ne découvre une bonne raison de les révéler.

Ces paroles avaient été prononcées sans colère, sans mépris, presque sur un ton indifférent, comme si elle venait de leur décrire la couleur de la moquette.

— Nous ne voulons pas vous extirper ces informations de force, ce n’est pas nécessaire, dit Luke. Mais j’espère être en mesure de m’entretenir avec vous le plus rapidement possible.

Les plumes de Vergere se hérissèrent un peu avant de s’aplanir à nouveau. Peut-être que cela correspondait à un haussement d’épaules.

— Nous en parlerons très certainement. Mais je vous prie de vous rappeler ce que j’ai dit précédemment : je ne suis guère partisane de votre Nouvelle République.

— Et vers quoi se tourne votre obédience, alors ? demanda Luke.

— Vers le Code des Jedi. Et ce que vous appelez « Ancienne République ».

— Il n’y a plus « d’Ancienne République », lui dit Luke très gentiment.

— Oh, mais si. (Ses yeux se braquèrent dans les siens et Luke perçut la puissance des convictions de Vergere comme une vibration dans tous ses os.) Tant que je vivrai, reprit-elle, l’Ancienne République vivra.

Il y eut un long moment de silence, puis Luke reprit la parole.

— Je vous souhaite qu’elle vive longtemps, Vergere.

Celle-ci inclina la tête.

— Je vous en remercie, jeune Maître.

Et puis elle se tut et se tourna pour observer le terminal, posant ses yeux à droite et à gauche, étudiant les personnes empressées, les droïdes allant et venant, absorbés dans leurs tâches, les vaisseaux, les marchandises qu’on convoyait d’un point à un autre…

Un monde, songea Luke, que Vergere a abandonné cinquante ans auparavant. Elle a vécu au sein d’un peuple dont l’étrangeté dépasse l’entendement. Luke se demanda comment Vergere considérait sa galaxie natale, avec son mélange de races, son agitation et toutes ces machines qui bourdonnaient, cliquetaient et sifflaient.

Il sentit la tristesse couler dans ses veines. Il avait accueilli Jacen, lui souhaitant un bon retour au foyer. Mais un tel accueil était impossible pour Vergere. Tout ce qu’elle connaissait avait disparu.

 

Mais la réunion ne se conclut pas sur les retrouvailles avec Jacen. Lorsque Luke et son groupe furent conduits jusqu’à la suite qu’occupait l’Amiral Sovv, ils découvrirent que l’officier n’était pas seul. Assises sur un long canapé en courbe couleur crème, derrière leur hôte sullustain, se trouvaient deux silhouettes familières arborant une étrange concordance de blancs. L’une des silhouettes était un Mon Calamari en uniforme blanc, l’autre était une humaine aux cheveux immaculés.

— Amiral Ackbar ! Winter !

La joie de retrouver ses vieux amis s’estompa lorsque Luke vit que l’Amiral Ackbar avait toutes les peines du monde à se lever du canapé. Le maître Jedi se força tout de même à conserver le sourire.

Ackbar, une fois debout, s’appuya sur le bras de Winter. La peau jadis rose et étincelante de l’amphibien était devenue grise et terne. Lorsqu’il parla, ses mots semblaient avoir du mal à s’échapper d’une bouche qui cherchait perpétuellement à reprendre son souffle.

— Maître Skywalker. Mes amis. Je suis malheureusement forcé de vous avouer que vivre hors de l’eau est devenu pour moi un exercice épuisant.

— Je vous en prie, asseyez-vous, lui dit Luke.

Il rejoignit Ackbar et, avec l’aide de Winter, aida l’amiral à s’installer à nouveau sur le canapé.

— Avez-vous été malade ? demanda-t-il à l’amiral tout en questionnant silencieusement Winter du regard.

La femme aux cheveux blancs lui adressa un bref hochement de tête affirmatif.

— Malade ? dit Ackbar. Non, pas tout à fait. C’est que je suis vieux, maintenant. (Un soupir fusa entre ses grosses lèvres.) Peut-être que Fey’lya avait raison lorsqu’il a refusé de me laisser reprendre du service.

— Je crois plutôt qu’il n’a jamais digéré la fois où vous l’avez humilié devant le Conseil, dit Mara.

Winter s’approcha de Jacen et le serra longuement, et sincèrement, dans ses bras.

— Sois le bienvenu, Jacen, dit-elle tout simplement.

Winter s’était occupée des enfants Solo au cours des premiers temps de la Nouvelle République, alors que Han et Leia étaient obligés de parcourir la galaxie d’un bout à l’autre. Durant ces années, elle avait certainement passé plus de temps avec Jacen que la mère de celui-ci.

— Des nouvelles de Tycho ? demanda Luke.

Le mari de Winter, Tycho Celchu, avait rejoint l’armée. Winter, elle, était restée auprès de l’Amiral Ackbar pour l’aider, lui tenir compagnie, le servant aussi loyalement qu’elle avait jadis servi Leia.

— Il aide Wedge Antilles à l’organisation des défenses de Kuat et à la mise en place de cellules de résistance. Il va bien.

— Heureux de l’apprendre.

Ackbar tourna vers Mara sa tête massive.

— Je dois vous adresser mes félicitations à mon tour. Avez-vous reçu mon cadeau ?

— Oui, merci. Ce projecteur holographique miniature va faire des merveilles pour aider Ben à coordonner ses pensées et ses mouvements.

— Votre enfant se porte-t-il bien ?

— Ben va très bien. (Une ombre voila momentanément le visage de Mara.) Nous l’avons envoyé à l’abri tant que le danger persiste. Ce qui risque de durer un moment…

— Les Solo avaient fait la même chose avec leurs enfants, leur rappela Winter. (Elle posa un regard affectueux sur Jacen.) Et ils s’en sont très bien tirés.

— Je vous en prie, installez-vous confortablement, dit Sien Sovv de sa voix nasillarde. Que puis-je vous offrir à boire ?

Luke se tourna vers Sovv et fut un peu honteux d’avoir négligé le Suprême Commandeur des Forces de Défense de la Nouvelle République depuis le début de la conversation.

— Je vous demande pardon, Amiral, dit-il. J’aurais dû…

Le Sullustain eut un geste apaisant à son intention.

— Allons, allons, c’est moi qui vous ai conviés ici pour y rencontrer vos vieux amis, je ne vais quand même pas m’offusquer si vous les faites passer avant moi. (Ses grands yeux noirs se tournèrent vers l'Amiral Ackbar.) A ce propos, j’aurais aimé, justement, que l’amiral puisse passer avant moi dans cette guerre.

Il n’était pas le seul à le souhaiter, Luke le savait bien. Cela n’avait pas été facile pour Sien Sovv de succéder à une légende comme Ackbar. La modestie et le travail appliqué de Sovv n’étaient guère de taille à combler le vide laissé par le génie et le charisme d’Ackbar. Sovv s’en serait certainement beaucoup mieux tiré si son mandat avait été effectué en temps de paix. Ses talents administratifs étaient réels et il aurait certainement pu diriger le service avec une grande efficacité, mais il avait joué de malchance. Il avait été forcé de mener cette guerre contre un ennemi face auquel la Nouvelle République n’était absolument pas préparée.

Malchance. C’était ce qu’il y avait de pire pour un commandeur militaire. Les soldats faisaient plus confiance à la chance de leurs supérieurs qu’à leur intelligence.

— Je ne crois pas, dit Sovv doucement, avoir été présenté à vos amis.

Luke s’excusa de nouveau et présenta Jacen et Vergere. Sovv les complimenta tous deux sur leurs talents pour la survie.

— Et, jeune Solo, ajouta-t-il, je suis heureux de vous annoncer que non seulement votre sœur est en pleine forme, mais qu’elle vient de jouer un rôle clé dans une victoire remportée à Obroa-skai.

Paraissant à l’aise sous son apparence négligée et ses vêtements primitifs, Jacen s’était perché sur une chaise à côté de Vergere. Un soulagement sincère se dessina sur son visage à l’annonce de la bonne nouvelle.

— Je me suis inquiété, dit-il. J’avais cru percevoir qu’elle… Qu’elle avait des ennuis.

— Une flotte Yuuzhan Vong tout entière a été attaquée par une de nos flottes, associée à un escadron Hapan. Le Général Farlander a été très explicite dans les louanges qu’il a formulées au sujet de Jaina. Il semblerait qu’elle ait été responsable d’une bonne partie du plan opérationnel.

Jacen écouta Sien Sovv avec intérêt, puis demanda avec précaution :

— Jaina a planifié cette offensive ?

— Pas dans tous ses détails, bien sûr, mais le principe de l’attaque était son idée. Deux transports de troupes Yuuzhan Vong ont été détruits et des dizaines de milliers de guerriers ont trouvé la mort. Il s’agit de notre première offensive réellement couronnée de succès.

— C’était donc un bon plan, dit Jacen en hochant la tête.

Ses lèvres esquissèrent un sourire, mais aucune satisfaction n’apparut dans son regard.

Un signal lumineux se mit à clignoter sur la console de communication de Sovv. Celui-ci s’empara d’un petit écouteur, qu’il glissa dans son oreille pour entendre le message en privé.

— Je vous prie de m’excuser, dit Sovv. Mais j’ai alerté le Service de Renseignement de la Flotte dès que j’ai appris que Jacen et un… un transfuge étaient en route. Ils aimeraient vous interroger tous les deux. (Ses grands yeux noirs se tournèrent vers Jacen.) Si vous êtes physiquement d’attaque, bien entendu.

Luke ne put s’empêcher de remarquer que, à l’inverse de Jacen, on ne laissait guère le choix à Vergere.

— C’est bon, je me sens d’attaque, dit Jacen se levant de sa chaise et se tournant vers sa compagne ailée. Et toi, Vergere ?

— Tout à fait.

La Jedi couverte de plumes adopta la même expression ironique et sceptique qu’elle avait arborée lorsqu’elle était sortie de la capsule et s’était retrouvée face aux soldats armés jusqu’aux dents.

— Je suppose que cela risque de durer un bon moment, dit Jacen à Luke. Puisque je ne sais pas où je vais dormir, est-ce que tu peux me filer ton numéro de comlink ?

Luke assura à Jacen qu’il était le bienvenu, qu’il pouvait loger avec Mara et lui, et il donna son code au jeune homme. Il se tourna vers Vergere et réitéra sa proposition.

— Il se peut que Vergere soit retenue un peu plus longtemps que Jacen, j’en ai peur, dit Sovv.

Cela ne fit qu’amplifier le cynisme qui se lisait dans le regard de Vergere. Elle se leva et sortit en trottinant, suivie par Jacen. Par la porte brièvement ouverte, Luke aperçut Ayddar Nylykerka, le directeur Tammarien du Service de Renseignement de la Flotte, accompagné d’un groupe de gardes. La porte se referma et Luke se tourna vers Sien Sovv.

— Vous ne prenez aucun risque, dit-il.

— Les Yuuzhan Vong sont très doués pour se servir de transfuges ou d’infiltrateurs, répondit le Sullustain. Avant de la laisser aller où bon lui semble, je veux m’assurer que Vergere est bien ce qu’elle prétend être.

— Je sais ce qu’elle prétend être, dit Luke. Je me demande simplement comment elle va réussir à le prouver.

La voie du destin
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